Le Canada dans un contexte de dynamique mondiale en évolution: Contribution au débat sur la question du lien entre commerce, développement et changement climatique ...
- Cosme G. Mekpo
- 12 avr.
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Dernière mise à jour : 14 avr.
Le contexte actuel des relations internationales, caractérisé par le retour en force d’une nouvelle administration à la tête des États-Unis, sonne le glas des espoirs révolutionnaires d’une transformation radicale de la donne économique mondiale - jugulée par ailleurs par des mouvements de résistance organisés en front commun contre les effets pervers d’une gouvernance mondiale encore mal assimilée des administrés dans la plupart des autres grandes nations comme l’Union européenne. S’il est encore trop tôt pour que l’on puisse y voir des rhizomes d’un déclin de la globalisation, il n’en demeure pas moins que le mouvement d’accélération des idées progressistes observé depuis une décennie aussi bien au plan interne des États qu’au plan international, connaît désormais un essoufflement. Certes, les stigmates d’une transformation plus importante dans la conduite internationale des affaires restent tangibles : des limitations à la souveraineté des États ou le renoncement progressif à celle-ci au profit d’un proto-gouvernement mondial, l’effacement graduel des frontières nationales au profit d’une augmentation incontrôlable des flux migratoires, la mise en place progressive des mesures d’austérité en vue du déclenchement du Great ressert, …
Seulement voilà, un nouveau vent souffle à leur encontre qui force le retour à l’orthodoxie, notamment en matière de négociation des accords internationaux où le sempiternel jeu de la réciprocité des intérêts pousse inévitablement les États à s’affranchir de la tutelle d’un pôle de décideurs supranationaux pour lui préférer des enceintes bilatérales (habituellement plus restreintes) de négociation. Or, pour avoir été souvent cité en exemple par la mouvance globaliste, le Canada a pu développer pendant la décennie qui s’achève des politiques publiques visant à mettre en place le proto-gouvernement mondial. Et c’est tout cet état de changement qui marque le contexte actuel des opérations canadiennes de commerce et d’investissement. Celles-ci semblent trouver un terreau fertile dans l’atmosphère de tension qui a toujours caractérisé les relations économiques internationales avec au cœur de cette nouvelle dynamique un conflit de rationalité entre deux impératifs catégoriques et faisant appel à deux types d’approches: l’éco centrisme pur et dur qui n’admet rien qui touche à l’environnement, et l’anthropocentrisme débonnaire qui conçoit tout en fonction des besoins économiques de l’homme et par rapport aux lois du marché.
Laquelle des deux approches convient-il de choisir lorsqu’on sait que le gouvernement actuel joue sa survie, ne pouvant ni reculer ni avancer face à la nouvelle donne. L’urgence est à la redéfinition des politiques publiques plus équilibrées à travers une approche moins radicale. Rectifier le tir, c’est parfois accepter de faire le pas vers des voies non encore explorées.
La présente contribution a été rendue possible grâce à la vigilance de l'une de nos collègues[1] qui a eu la présence d’esprit de partager avec nous le feedback post-événement de la conférence inaugurale d’Affaires mondiales Canada (des 25 novembre au 6 décembre 2024) sur la question du lien entre commerce, développement et changement climatique. Nous la remercions plus encore d’avoir suivi pour nous les débats qui ont eu lieu lors de cette conférence et de nous donner ici l’opportunité de pouvoir, à notre tour, participer aux discussions sous forme de réponses à deux des questions qui ont été soulevées lors de la conférence - avec l’espoir que notre analyse pourra mener à la découverte de quelques éléments de synthèse.
Question 1.- En rapport avec le contenu carbone des biens exportés par les pays.
Certains des biens exportés par des pays en développement sont produits par des entreprises des pays développés installées dans ces pays en développement. Ne devrait-on pas imputer cette empreinte carbone aux pays desquels viennent les entreprises productrices, c'est-à-dire les pays où les entreprises ont leur siège social.
Réponse proposée
La question de l’imputabilité du contenu carbone des biens exportés par des pays en développement mais qui sont produits par des investisseurs étrangers installés dans ces pays rejoint plus précisément celle de la responsabilité sociale des entreprises. Imputer l’empreinte carbone à un État dont l’investisseur est le ressortissant reviendrait à rendre responsable ce pays plutôt que son ressortissant détenteur du capital d’investissement et qui opère sur le territoire d’un autre État.
1. Si tel est le but, les pays qui seraient ainsi visés sont surtout des pays développés à qui il reviendrait de faire davantage que leurs efforts actuels en vue de la réduction globale des émissions de gaz à effet de serre (GES). On pourrait à cet effet se référer aux mécanismes internationaux existant : le Protocole de Kyoto, la Conférence des Parties (COP26), les Accords de Paris, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne, … etc.
2. Si en revanche, le but est d’imputer à l’investisseur étranger la responsabilité du contenu carbone des biens produits dans le pays d’accueil par son investissement, l’on peut se réjouir de constater que la communauté internationale est particulièrement féconde en matière de production de normes, standards et principes directeurs à l’intention des entreprises. La consécration d’obligations internationales à la charge de l’investisseur - à travers l’encadrement progressif de ses activités par le droit international - se présente d’abord comme un contrepoids aux obligations des parties en vue de l’équilibre des intérêts en présence dans une relation d’investissement. Elle se matérialise ensuite par la transformation des règles et pratiques en matière de responsabilité internationale à travers le développement sans précédent des clauses d’exception relatives à la protection de l’environnement dans les accords internationaux d’investissement (AII). Grace à cette captation par les traités d’investissement dont la normativité est incontestable, l’activité normative de la communauté internationale a pu générer plusieurs instruments parmi lesquels : les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales, la Déclaration tripartite de l'OIT sur les Principes concernant les entreprises multinationales et la politique sociale, le Global Reporting Initiative, les Principes volontaires pour la sécurité et les droits humains, le Global Compact des Nations Unies, les Principes pour l’investissement responsable de l’ONU; les Normes ISO 26 000, les Principes directeurs de l’ONU pour les entreprises et les droits humains.
3. Si enfin, il s’agit d’imputer la responsabilité du contenu carbone à la fois aux entités étatiques (l’État dont l’investisseur est le ressortissant et l’État d’accueil) et à l’entreprise productrice du bien exporté, les mécanismes actuels ne semblent pas si loin du but. Dans sa conception actuelle, l’emprunte carbone permet en effet d’attribuer les émissions de GES à l’utilisateur final du bien ou service exporté, mais en tenant compte de toutes les émissions de la chaîne de production ainsi que du processus de mise en marché. Par exemple, l’empreinte carbone d’un bien d’exportation chilien destiné au marché américain et produit par une entreprise canadienne installée au Chili, tiendrait normalement compte des émissions occasionnées aux États-Unis, ailleurs dans le reste du monde (selon la trajectoire empruntée par la chaîne d’approvisionnement), puis finalement au Chili qui est le lieu de la production; les émissions étant générées par les ménages ou par les secteurs d’activité économique qui fournissent les biens et services. Dès lors, la question de la finalité de la démarche se trouve posée : dans quel but précis cherchons-nous à imputer l’empreinte carbone aux pays dont l’investisseur est le ressortissant? Efficacité d’approche ? Égalité compensatoire ? Traitement juste et équitable ? Juste équilibre ? …
Quel que soit l’angle sous lequel la question est abordée, l’imputabilité de l’emprunte carbone à un sujet donné ne peut que constituer une étape intermédiaire vers la solution au problème. Il convient dès lors de reconsidérer l’option d’appliquer l’emprunte carbone et d’y voir plus une adhésion à l’approche anthropocentrique qu’un moyen de justice environnementale; puisqu’en définitive, cela revient à soumettre le pollueur à l’obligation de payer le prix de ses besoins en consommation en fonction de l’offre et la demande.
Question 2.- En rapport avec les réglementations vertueuses
Virtuous regulations are certainly a great policy driver to try to bring more countries to share Environmental concerns However how can global enforcement equally be put in place with sufficient incentive. Industry gain is what it is and even strong tractability are regularly breach on a large scale with multiple collusion level (example of the Beef/horse meat market in France/Europe). Is there any draft solution in sight that could guaranty that Canada would not cripple its economy camping too strongly onto values that most don't share?
Les réglementations vertueuses sont certainement un excellent moteur de politique pour essayer d'amener davantage de pays à partager les préoccupations environnementales. Cependant, comment une application mondiale peut-elle être mise en place de manière égale avec une incitation suffisante ? Le gain industriel est ce qu'il est et même les fortes traçabilités sont régulièrement violées à grande échelle avec de multiples niveaux de collusion (exemple du marché du bœuf/cheval en France/Europe). Existe-t-il une solution en vue qui pourrait garantir que le Canada ne paralysera pas son économie en s'attachant trop fortement à des valeurs que la plupart ne partagent pas ?
Réponse proposée
Existe-t-il une solution en vue qui pourrait garantir que le Canada ne paralysera pas son économie en s'attachant trop fortement à des valeurs que la plupart ne partagent pas ?
Cette préoccupation rejoint celle plus précise du lien entre la réglementation vertueuse et la performance écologique de l’économie de marché. L’idée que l’on peut être écologiquement vertueux sans être socialement responsable semble désormais faire son chemin chez les économistes néolibéraux. Selon eux, c’est en laissant les lois du marché opérer l’allocation des ressources que l’intégration économie-écologie aurait le plus de chances d’être harmonieusement réalisée. Les limites théoriques de cette position semblent évidentes. Toutefois, il y a-t-il vraiment un choix possible lorsqu’on sait que l’appât du gain pousse souvent les industriels à une violation massive de la règlementation là où celle-ci est mise en place et est suivie d’une forte demande de traçabilité ! Quelles sont alors les vertus insoupçonnées d’une règlementation qui serait le plus à même de rassembler autour d’un idéal sociétal de salut public ?
Le défi consiste à mettre en place une politique pouvant permettre aux pouvoirs publics canadiens d’associer plus étroitement diverses parties prenantes et d’évaluer la réglementation de façon plus systématique afin d’améliorer la qualité des textes législatifs et réglementaires qui régissent le quotidien des entreprises et des particuliers. Dans un contexte où l’opinion publique semble polarisée sur le bilan peu reluisant des gouvernant actuels, cela impliquerait que ceux-ci s’adaptent rapidement aux changements en cours; qu’ils soient plus coopératifs avec leurs pairs, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, dans le but d’atteindre des objectifs stratégiques précis et sans hésiter devant les nouvelles options qui pourraient se présenter à eux; et qu’enfin, ils soient plus aptes à avoir une lecture et une compréhension plus objectives des situations. Pendant que la souveraineté règlementaire recouvre ici sa parure impérative mais tempérée - par son caractère raisonnable - en vue de la préservation de l’intérêt général et des intérêts particuliers, la réglementation devient un art, celui d’adapter les règles à la réalité socio-économique et environnementale. La figure marquante de cette nouvelle politique est le principe juridique de l’équilibre des intérêts dont les premiers contours ont été dessinés par l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Ses expressions diversifiées se retrouvent aujourd’hui dans de multiples instruments juridiques nationaux et internationaux : les AII en général (accords de commerce et d’investissement, traités bilatéraux d’investissements), les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales, la Déclaration tripartite de l'OIT sur les Principes concernant les entreprises multinationales et la politique sociale, le Global Reporting Initiative, les Principes volontaires pour la sécurité et les droits humains, le Global Compact des Nations Unies, les Principes pour l’investissement responsable de l’ONU, les Normes ISO 26 000, les Principes directeurs de l’ONU pour les entreprises et les droits humains, … etc.
Au total, de nombreux indices dans le mouvement des faits et des idées montrent qu’il est désormais possible d’envisager la prise en compte des valeurs fondamentales (environnementales, humaines et socio-sanitaires) dans la protection des « biens, droits et intérêts » des particuliers par le moyen juridique découlant de la mise en œuvre du principe général de l’équilibre des intérêts[2].
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[1] Nous tenons toutefois à rappeler que les propos tenus ici engagent notre entière responsabilité en tant que l'auteur de la contribution et non pas celle d’Affaires mondiales Canada.
[2] Pour plus de détails sur cet aspect de la question, voir notre thèse de doctorat, L'équilibre des intérêts en droit international des investissements : principe général de droit applicable aux rapports entre investissement et environnement, (2022) Mekpo, Cosme Gosshé, https://corpus.ulaval.ca/server/api/core/bitstreams/aa6c9059-18ff-4915-83a1-fb8614cb07e0/content .
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